où es-tu petite fille...
envie d’hurler mais rien ne sort…envie de me libérer de ce trop plein, de ce je ne sais quoi innommable,de ce volcan en moi qui bouillonne en permanence en circuit fermé…la vie est le bien le plus précieux on n’a pas le droit de la gâcher on me l’a encore dit hier…oui, c’est sans doute vrai, mais c’est de ma vie dont il s’agit et ma vie n’est pas une vie mais une non-vie…je voudrais tellement donner ma place à quelqu’un qui saurait vivre…moi je ne sais pas,je n’ai jamais su…j’ai tellement envie d’arracher cette peau,d’ouvrir ce corps pour en faire sortir tout le poison intérieur…pourquoi ne le voyez-vous pas ce poison en moi, pourquoi vous obstinez-vous à vouloir me convaincre du contraire…je le sais moi, je le sais ce que je suis vraiment…ouvrez-donc les yeux…pourquoi est-ce que ça vous est aussi insupportable de reconnaître la réalité : j’ai volé ma place…je n’aurais jamais du naître, je devais pas n-‘-être…pourquoi ne nous demande-t-on pas notre avis avant de nous propulser dans ce monde…j’ai beau la retourner dans tous les sens ma vie je n’y vois pas de sens…as-tu des rêves me demandait-on hier…mon seul rêve ce serait de partir, partir loin, très loin vers une destination inconnue,vers une délivrance…je n’arrive plus à porter ce corps, il me fait souffrir, je le fais souffrir plus exactement car je ne veux plus que les autres me fassent souffrir par son intermédiaire…ça je commence à vraiment le comprendre : me faire souffrir en permanence pour ne pas laisser la place aux autres de le faire, c’est moins dangereux car c’est moi qui maîtrise, c’est moi qui détient les rennes de ma souffrance, et ça ne dépend plus des autres comme par le passé…mais ce corps, ce corps qui ne m’a jamais protégé est toujours de trop,il prend trop de place,il me fait trop mal,je n’en veux pas de ce corps, je ne veux pas de ce corps-là…dés le départ, il a fait défaut, dés le départ, il ne m’a jamais protégé…tous mes maux se sont cristallisés en lui, c’est à travers lui qu’ont pu se mettre en mots mes maux, c’est à travers,contre lui que s’exprime l’inexprimable, l’inavouable,l’imperceptible…ne m’approchez pas, ne me touchez pas sinon je meurs, ne m’approchez pas sinon je vous contamine…ce corps est mauvais ouvrez donc les yeux, il respire le dégoût et la répulsion…pourquoi vous obstinez-vous à ne pas vouloir me croire, pourquoi ne voulez-vous pas le voir…pourquoi voulez-vous toujours me convaincre du contraire…pourquoi ne passez-vous pas votre chemin…fuyez vite, ne voyez-vous pas le danger…laissez-moi dans mon monde autistique…je voudrais crier mon désespoir mais je n’ai pas le droit, je dois le respect à ceux qui ont fait cette vie…alors oui,maintenant que je suis adulte, je dois penser à l’avenir,je dois laisser le passé de côté,puisque je sais maintenant…me dit-on…mais je sais quoi…tout ce que je sais c’est qu’il y a en moi cette petite fille au regard vide qui se sent si seule qui hante mes nuits et qui voudrait exorciser ces démons…cette petite fille qui voudrait qu’on lui tende la main et lui donne le droit de vivre, de pleurer,de vider ses larmes pour pouvoir sourire…cette petite fille à la peau de serpent, à la peau qui fait mal, à la peau qui tire, à la peau qui ne protége pas,à la peau qui inspire le dégoût et qui fait fuir l’autre…cette petite fille que l’on n’a jamais autorisée à dire, à qui on a juste appris à se taire…cette petite fille-là sur la photo que j’aimerais prendre dans les bras car je sais moi adulte ce qu’elle vit, je sais combien elle a mal et ne comprend pas pourquoi…cette petite fille de la photo que je conserve précieusement et à la rencontre de laquelle je tente désespérément d’aller à rencontre pour lui dire que non elle n’est pas seule sans jamais parvenir à l’atteindre…cette petite fille qui a mis tellement de distance entre elle et les autres pour se protéger, pour qu’ils ne la fassent plus souffrir par leur rejet, cette petite fille qui s’est rejetée pour ne plus vivre le rejet, cette petite fille qui s’est effacée, cette petite fille qui s’efface, cette petite fille qui aurait voulu disparaître, cette petite fille dont chaque jour qui passe m’éloigne un peu plus mais dont le souvenir,le silence, les larmes sourdes hantent ma mémoire…cette petite fille que personne ne semble vouloir voir, que personne ne semble vouloir entendre… cette petite fille dont le seul rêve était de changer de peau,d’avoir la peau comme les autres…cette petite fille que j’aimerais tant entendre…cette petite fille que j’aimerais aider à vivre…cette petite fille de la photo que je ne veux pas abandonner,que je ne veux pas trahir…