au sujet des pro-ana...
Pour être honnête, je pense que même si elle s'en défend et le nie toute
personne anorexique est pro ana. Cette pathologie irrationnelle est tellement
complexe et paradoxale. Dans l'esprit anorexique, tout s'inverse: le bien, le
bon devient mal, mauvais et inversement.
Le paradoxe majeur reste qu'en nous faisant perdre toute personnalité,
l'anorexie n'ou donne le sentiment de devenir enfin quelqu'un. Cette quête
effrénée de la perfection nous rend insensible à tout même au plus dramatique.
Le seul drame devient alors de prendre du poids, d'alimenter cette part de nous
que l'on déteste, qui nous dégoûte. En prenant du poids, on alimente le
sentiment d'être mauvaise, de prendre trop de place, de prendre une place qui
ne nous revient pas, que l'on ne mérite pas.
L'obsession du poids occulte une angoisse, un mal être bien plus profond que la
simple entité de l'apparence physique.
On ne choisit pas de devenir anorexique, on l'est bien avant de le devenir. Il
s'agit avant tout d'une structure de personnalité.
Cette pathologie est celle de l'irrationnelle: on a d'autre choix pour vivre,
pour survivre que de se détruire afin de faire taire la voix de la culpabilité
qui nous assaille. Plus je me détruis plus je me sens protégée, anesthésiée de
toutes sensations y compris de la souffrance. Le plus dur n'est pas de parvenir
à un état cachectique mais bel et bien d'en sortir.
Par ailleurs, cette pathologie est celle de l'illusion, du mensonge envers les
autres mais avant tout dans le but de mieux se convaincre qu'on a fait le bon
choix. L'anorexie nous donne l'illusion d'une toute puissance, d'une force à
toute épreuve venant contrer cette conviction que l'on n'est rien, ni personne.
C'est vraiment ce que j'ai pu ressentir au cours des années: pour la première
fois de ma vie, j'avais réussi quelque chose, j'étais devenue anorexique. Mais
la quête de perfection ne m'a jamais laissée satisfaite, il me fallait toujours
maigrir, aller au delà de mes limites: toujours plus d'efforts, toujours plus de
restriction afin de remplir mon vide intérieur. Aujourd'hui, je me rends compte
à quel point je me suis laissée enivrée par l'illusion anorexique et à quel
point je suis prise au piége. Bien sûr, j'affiche ouvertement ma volonté de
m'en sortir mais au fond de moi, je ne veux pas m'en sortir car je suis
tiraillée par la peur de m'en sortir. Si je dis vouloir prendre du poids, c'est
juste que mes proches soient rassurés et qu'on me laisse en paix pour mieux
pouvoir m'enfoncer. La réalité est toute autre: je ne veux surtout pas prendre
de poids. Aujourd'hui, j'ose le dire car je ne supporte de mentir ainsi, je me
déteste de faire cet aveu, j'ai honte mais je me haïrais encore plus si je
continuais à affirmer le contraire. Le mensonge n'est plus efficace et ne
suffit plus à pallier au dégoût de moi-même, je n'ai plus d'autre choix que la
sincérité: je ne peux plus me plaindre du froid, de la fatigue et tous ces
symptômes alors qu'au fond ils me rassurent et ne plus les ressentir serait
pire que tout car signifierait une prise de poids. Aujourd'hui, je ne peux me
poser en victime d'une société, d'une image véhiculée par les médias,
revendiquer une place qu'au fond de moi je ne veux pas assumer, certains diront
que je ne peux pas assumer car trop dangereuse pour moi... Et puis, le
psychologue m'a permis de prendre conscience que pour pouvoir changer il faut
déjà commencer par reconnaître la réalité de la situation dans laquelle on se
trouve, au lieu de mettre tout son temps et son énergie à la dénier par peur du
jugement.
Aujourd'hui même si j'ai mal d'écrire et dire tout cela, je suis de plus en plus
persuadée que c'est un passage nécessaire qui va enfin m'ouvrir la porte de
l'espoir.
Et malgré la peur permanente, j'ai au fond de moi, le désir de pouvoir un jour
crier haut et fort : je m'en suis sortie. Tout ce que je viens d'écrire au
sujet de cette lutte avec soi même pour relater au plus prés la réalité au lieu
de la fuir, j'aurais aimé que quelqu'un puisse m'en parler car même si le
mécanisme du mensonge fonctionne à la perfection, il ne s'en dégage pas moins
un sentiment de honte, de culpabilité, de dégoût de soi qui ne fait
qu'alimenter ce mensonge et nous plonge dans la solitude la plus profonde...
Se détruire pour survivre...
L'anorexie représente, bien plus que ce que l'on assimile classiquement à un
suicide lent,un réel désir de vivre mis à mal par la peur de ne pas savoir, de
ne pas avoir le droit...Oui mais un jour la destruction se révèle irréversible
et la fin...Si ce n'est la faim est la toute proche...Et, même si j'ai du mal
me convaincre de sa nocivité, je ne veux pas que cette saleté qui m'a pourri la
vie qui m'a donné l'illusion d'exister remporte cette ultime victoire...
Cette victoire me revient de droit, il n'y a que moi qui puisse la saisir...