ma petite vie...
Depuis maintenant 15ans, j'en ai aujourd'hui passés 30, je vis cet enfer sans
parvenir à trouver une issue. Mais je garde malgré tout espoir.
Etant en surpoids, j'ai voulu faire un petit régime en janvier 92, je n'ai plus
vraiment de souvenirs de cette période. En mai, pour la 1ere fois, une amie de
lycée me fait remarquer mon amaigrissement plus que rapide mais dont je n'avais
même pas conscience et me parle d'anorexie. Ne connaissant même pas ce terme, on
n'en parlait pas à cette époque, j’en cherche le sens en rentrant dans le
dictionnaire: je ne m'y reconnais pas...deux jours plus tard je suis
hospitalisée pour une suspicion d'appendicite. Quand j'arrive a l'hôpital, on
me demande mon poids: 70kg mais je fais un régime...regard ahuri des soignants:
je pèse 56kg. Le médecin rencontre ma mère entre 2 couloirs: "votre fille ne
veut pas manger c'est tout, elle n'a rien, elle est anorexique et ça va jusqu'a
la mort"L'appendicite s'est transformée en péritonite opérée plusieurs jours
après. A ma sortie, je consulte en CMP, je continue à maigrir et suis
hospitalisée en HP pour adultes en juin. Malgré des débuts difficiles, je
recommence peu à peu à manger et me sens mieux du fait de l'isolement alors que
jusqu'a maintenant je n'avais jamais supporté l'absence de ma mère. Et puis en
août, je sors contre avis médical car la famille décide que je ne suis pas
malade que ça n'a que trop duré. A ma sortie, je suis confrontée à la
séparation difficile et conflictuelle entre mes parents, séparation qui moi me
soulage car je ne supportais plus la haine non dite entre mes parents que je
n'ai jamais vus affectueux entre eux. Persuadée que c'est mon père le coupable,
je refuse de le voir. Le médecin qui me suit me menace d'hospitalisation si je
ne reprends pas du poids: je ne peux accepter cette idée car ce serait faire
souffrir ma mère, j'accepte de prendre un traitement avec lequel je reprends du
poids. Pour revenir à un poids faible mais hors de danger. ce moment, ne
supportant plus mon corps, je me lance avec acharnement dans le sport, jusqu'a
plus de 4 heures par jour, tous les jours. Cela dure des années, malgré tout je
parviens à faire des études et obtenir un DEA en psychologie (!).Tout semble
aller bien pour moi. Sauf que pour préserver mes proches, ma mère, je mens sur
la réalité de ma situation: isolement, acharnement dans le sport, restriction
alimentaire. Mais je donne le change, on me croit...A la fin de ma maîtrise, en
2000, je connais une petite période de mieux: j'ai quelques amis, suite a des
travaux universitaires en commun. Et je commence même à avoir des petits amis,
j'ai le sentiment de vivre enfin.
Mais suite à la prise de la pilule, je prends 5kg en quelques jours, j'ai mal
dans mon corps, je ne me supporte plus. Les efforts pour remaigrir sont vains.
Et je me sens de plus en plus mal avec mon ami. Fin 2002, je m'inscris dans une
salle de sport, 'acharnement reprend de plus belle. Début 2003, j'ai fondu et
bien plus que 5kg. Nouvelle menace d'hospitalisation, je refuse avant
d'accepter car j'y vois l'occasion de me libérer d'une situation insupportable
avec mon ami. Début février j'entre en clinique spécialisée. Pour la 1ere fois
je commence à parler sincèrement. Mais je continue a maigrir malgré l'arrêt
total du sport et une meilleure alimentation. Fin mars, le psychiatre
interrompt l'hospitalisation car je refuse de prendre un traitement ayant pour
effet secondaire la prise de poids. A ma sortie, je découvre les laxatifs.
Catastrophe en 2 mois, mon intestin est à la limite de la déchirure et je me
retrouve hospitalisée en réanimation. Alimentée par sonde, je reprends quelques
kilos, me sens un peu mieux, soulagée d'être prise en charge, mais mal dans ce
corps. Au bout de 8semaines, je suis réorientée vers la clinique, je fais
croire que je prends le fameux traitement que je recrache discrètement. Malgré
tout, le travail se poursuit et je me sens toujours un peu mieux. Fin
septembre, je sors de la clinique. Pleine de projets, je décide de trouver un
emploi et de reprendre des études pour être professeur des écoles. 15 jours
plus tard, je suis embauchée chez Mc Do'(!). Très vite, je me retrouve à plein
temps et je n'arrive plus à suivre les cours, j'abandonne ce dernier projet.
Tant bien que mal je me maintiens dans une illusion de vie au yeux des autres:
je continue à les rassurer en m'inventant une vie bien remplie et
épanouissante...La réalité est toute autre: je m'auto détruis en travaillant
tout en me donnant bonne conscience: il faut bien que je paie mon loyer. Et ma
vie se résume à une fuite des autres, de moi-même dans le mensonge:ma "vie" est
faite de solitude, de marche et le we, je ne fais que dormir pour ne pas penser.
En outre, compte tenu de mes horaires anarchiques, je repousse de plus en plus
le moment fatidique des repas, pour n'en faire plus qu'un a 23h30 qui me prend
3heures.Toutes mes journées se ressemblent strictement à l'identique selon le
mode we ou semaine. En septembre 2005, je suis à nouveau hospitalisée en
réanimation suite à un trouble enzymatique. Au bout de 8 semaines, je sors puis
je reprends le travail. Mais ça se passe de plus en plus mal avec mon patron, si
bien qu'à bout de nerfs, je démissionne en avril 2006 avec l'idée de trouver un
emploi dans mon domaine d'études. Mais face à mon vide et mon isolement total
puisque je ne travaille plus. Et là, je m'effondre à nouveau, je suis
hospitalisée a nouveau en clinique du fait de troubles dépressifs. Les troubles
alimentaires n'y sont plus les bienvenus, les soignants les dénient tout en
m'imposant le rythme et les choix de repas: je ne suis pas là pour anorexie
mais je n'ai pas le droit de manger librement comme tous les autres patients,
je ne suis pas autorisée aux sorties. La psychiatre décrète que je dois manger
de tout comme tout le monde que j'aime ou non, mon estomac au bout de 10 jours
est forcément réhabitué à une alimentation normale. Alors que depuis 3ans je
mange toujours la même chose: pain, pommes, yaourts majoritairement, je ne
cuisine plus, je ne mange plus rien de chaud. C'est au dessus de mes moyens, je
triche avec l'aide des autres patients, je ramène des aliments dont j'ai
vraiment envie et je me cache pour pouvoir les manger...le comble...Seulement
je me retrouve vite au poids ou je dois être hospitalisée en réanimation. Le
professeur de réanimation intervient et menace la psychiatre de plainte pour
non assistance à personne en danger. La j'obtiens enfin des aménagements
alimentaires. Malgré tout, le travail psy me est fructueux et je lâche un peu
sur ma résistance à toute épreuve...
En juillet je quitte la clinque dans l'attente d'une hospitalisation en laquelle
j'ai beaucoup d'espoir en Allemagne avec des techniques axées sur le corps et le
vécu émotionnel...Hospitalisation qui se révèle un échec, rien de ce qu'on
m'avait dit n'est réel: pratiquement pas de suivi, pas de cadre...j'en sors au
bout d'une semaine après avoir fait un malaise avec perte de connaissance qui
n'a pas été vraiment pris en compte.
Depuis, n'ayant plus d'appartement personnel, je vis chez ma mère. La
cohabitation avec son ami est plus que difficile: magnétiseur, il veut
absolument me soigner, à sa façon...je me ferme de plus en plus. Et
heureusement je trouve un psychologue avec qui la confiance s'établit d'emblée,
pour la première fois je me sens autorisée a tout dire...Mais le quotidien reste
difficile, j'essaie de tenir tant bien que mal entre crises d'angoisse et
moments plus sereins. De plus en plus, je recommence à m'isoler : je ne me
supporte plus, je ne supporte plus le regard et la présence des autres, leur
injonction à faire de moi une personne heureuse. Toujours heureusement, je
continue un travail avec le psychologue: prise de conscience, résurgence de
souvenirs et sentiments enfouis. Ca fait mal mais je sais aussi que c'est un
passage nécessaire pour apercevoir un espoir de mieux...j'aimerais trouver un
petit emploi afin d'avoir à nouveau mon propre logement mais mon état physique
semble faire peur aux employeurs. Enfin, actuellement, je me rattache à un
concours qui me permettrait de devenir conseiller d'orientation psychologue
tout en tentant de me préserver des autres, de leurs bonnes paroles dont ils ne
se doutent pas de la culpabilité que cela suscite en moi: "mais tu as tout pour
être heureuse".Et puis je m'investis le plus possible dans le suivi
psychologique malgré mes doutes, malgré mes angoisses, malgré cette tentation
de me laisser couler, malgré cette tentation de disparaître...