lettre à...
Maman,
….j'ai longtemps voulu t'appeler, sans jamais y
parvenir…je restais tétanisée le téléphone entre les mains…pourquoi me
diras-tu…pourquoi, comme toi, je l'ignore…alors j'essaie de t'écrire ce
courrier car il y a beaucoup de choses à mettre au clair me semble-t-il. Par
où, par quoi commencer… le début…il y a presque 2ans maintenant que je suis
partie avec tes derniers mots qui me résonnent encore souvent en tête:
"ben si t'as envie de mourir, pars et inch alla"…en toute logique, en
ta logique, je ne devrais pas t'écrire puisque je devrais être morte…pourtant
je t'avouerai que je ne suis pas claire sur ce point. Alors voilà, je suis
partie sans donner de nouvelles avec toutefois l'intention d'en donner mais
plusieurs de tes réactions m'en ont dissuadée…allez dire à ma sœur, qu'il ne
faut pas m'écouter que je ne suis qu'une menteuse, sans doute oui…Et puis
alerter Monsieur R. en lui disant que j'étais aux bras de la mort que tu ne
supportais plus de me voir ainsi alors tu avais passé le relais à mon père
-hospitalisé à l'époque, sans doute l'avais-tu oublié- mais qu'il fallait me
prendre au plus vite…H. a été très étonnée de m'entendre quelques heures
après…et puis je ne sais ce que tu es allée lui dire à lui, mais je m'en suis
pris plein la tête, si jamais il arrivait quelque chose à sa femme, j'en serais
la coupable, il me détestait, je l'avais trahi, je ne fais que le décevoir,…
Voilà
ce qui m'a dissuadée de te donner des nouvelles, j'ai autorisé ma sœur à t'en
sonner si elle voulait sinon qu'elle te renvoie vers papa mais je ne voulais à
aucun moment de ces deux ans qu'elle te dise où j'étais. Apparemment c'était
très lourd à tenir pour elle, je me prenais des réflexions de tous côtés comme
quoi on ne savait plus quoi te dire ni comment. Et j'ai même eu le reproche que
tu n'aies pas demandé de mes nouvelles la dernière fois que tu as appelé papa
au sujet de la maison, il a raccroché le téléphone en pleurs…
Donc voilà pourquoi je me décide à t'écrire,
je sais que tu souffres de la situation mais je ne vois pas d'autres solutions
pour l'instant…tu restes ma mère quoiqu'il arrive, je reste ta fille si tu le
désires sinon je n'en ferai pas un drame mais pour le moment les choses restent
ainsi dans ces conditions avec ces limites…
En
deux ans, il s'est passé beaucoup de choses pour moi, j'ai fait un énorme
travail avec Mr r., H., ma nouvelle diététicienne et le reste de
l'équipe médical du nouveau centre de D. . Le travail a été très fructueux
mais il m'a fallu entendre le terme de maltraitance physique et psychique dans
une certaine mesure de la part de ma mère…c'est pourquoi Mr R. attendait
pour vraiment me prendre en charge que je me détache de toi. Ça a été très dur
à entendre, accepter et réaliser que ça pouvait être vrai de la part de ma mère
sensée être d'un amour inconditionnel pour moi. Tu ne peux pas savoir à quel
point je me sentais coupable, j'avais honte, je me sentais ingrate, je me
sentais comme montrée du doigt : même sa mère ne l'aime pas…mais les piqûres de
gaz de ton médecin de prédilection, le fait de savoir qu'on t'ait parlé de dépression quand j'avais
7ans et que tu n'as rien fait, certaines réflexions, certaines attitudes m'ont
énormément marquée et aujourd'hui encore j'en fais des cauchemars…Alors certes,
tu l'as fait pour mon bien…mais t'es-tu posé une fois la question sur l'objet
de ma tristesse? A part me répéter que c'était de ma faute, enfant, on
choisissait de naître dans une famille donc on assumait. Et me répéter que
j'étais trop négative…Mais là encore t'es-tu une fois posé la question de
savoir d'où cela pouvait venir? Que ce soit conscient ou non, volontaire ou
non, ne penses-tu pas m'avoir emplie de négativité dés ma naissance et
peut-être même bien avant: je suis née de la haine entre mon père et ma mère,
je suis née pour donner un petit frère à ma sœur, je suis née alors que tu ne
voulais pas de deuxième enfant pour qu'il n'ait pas toutes tes maladies qui t'ont
tant fait souffrir enfant, et que tu ne voulais surtout pas que ton enfant en
souffres. Mais t'es-tu remise en question quand à la résonance que peut avoir
ces phrases ces attitudes dans les soins de peau chez un enfant et bien des
années plus tard? Comment puis-je m'aimer en n'étant pas enfant du désir entre
mes parents, en voyant la haine permanente entre vous deux. Et tu ne cessais de
répéter que tu savais que tu avais fait une erreur en épousant mon père, mais
qu'il fallait que tu gagnes à ce prix ta liberté vis-à-vis de ta mère…Certes,
je peux le concevoir mais de là à
sembler s'en vanter et rester autant d'années avec un homme que l'on méprise et
déteste et le pire de tout avoir deux enfants avec lui. Quand tu ajoutes à cela
la moquerie des autres élèves -soit pour toi ça venait de mon attitude- et les
crachats dans le bus scolaire dont tu n'as jamais sans doute entendu parlé
puisque selon toi, c'est à l'enfant de parler à ses parents…C'est ta conception
des choses, elle te convient, tu penses avoir fait bien. Ce n'est pas cela que
je viens remettre en cause mais le fait que tu aies plus ou moins
sournoisement, plus ou moins consciemment voulu me l'imposer. Tu peux très bien
être persuadée avoir fait pour mon bien et moi l'avoir très mal ressenti. A ces
choses-là, on y peut rien…Tu vas me dire que c'est faux puisque ma sœur n'a pas
réagi comme moi…mais tu sais très bien qu'il y a toujours un enfant cible dans
une famille sur lequel les événements et les choses acquièrent une importance paroxystique.
Tu
as souvent dit que tu avais directement ou à d'autres personnes que tu avais
sacrifié ta vie pour moi et que je te la pourrissais encore d'une certaine
façon avec l'anorexie mais est-ce que je t'ai demandé un jour de réagir ainsi?
Maintenant tu peux vivre ta vie pour toi, je ne suis plus là pour t'embêter
alors arrête de faire une fixation sur mon état et de poser la question à x
personnes, après c'est sur moi que ça retombe…de toutes manières désormais, ils
te diront ce qu'ils veulent sans me demander mon avis ou pas, je m'en moque
bien…mais ne cherche pas à traquer chez eux des contradictions, surtout avec
celui que j....ais car j'ai décidé de ne plus le voir après le mal qu'il m'a encore fait
il y a quelques temps. Il ne désire qu'une chose : c'est protéger, préserver,
son image dans sa famille. C'est la seule raison pour laquelle il s'intéresse
encore à moi: je suis un danger pour lui, même si ses peurs sont bien vaines.
Alors
oui j'ai donc bien fait mon séjour de dix mois à D., séjour au
cours duquel, j'ai d'ailleurs été complètement chamboulée par une de tes idées
délirantes: comment oses-tu dire en toute innocence et sans te douter des
conséquences que ça pourrait avoir, que la mémé a subi un avortement et que je
serais la renaissance de cet enfance avorté…mais pour quelle raison vas-tu dire
ça…tu te rends compte, je peux te dire que tu as eu de la chance que l'équipe
thérapeutique était autour de moi lorsque j'ai appris ça car ça m'a mis dans un
état de nerfs démesuré, je te vois venir en avançant que c'est parce que c'est
la réalité que j'ai réagi ainsi…mais il va falloir que tu arrêtes d'envahir ma
vie avec tes histoires qui te rassurent, qui t'arrangent, qui te
déculpabilisent…je suis qui alors pour toi, ta sœur ou ta fille, et qui est
décédée la mémé ou ma mère…je peux également te dire que je fais toujours des
cauchemars de ces piqûres de gaz, je me souviens avec une belle angoisse de ces
dimanches et parfois mercredis où la consigne était implicite, je devais me
coucher sur le canapé et voilà j'étais tranquille jusqu'à la suivante…Mais
sais-tu que longtemps pendant et après cette période, je veillais bien à ce qu'il
n'y ait personne sous mon lit et je dormais le dos plaqué au mur par peur qu'on
me fasse une piqûre pendant mon sommeil…mais que pouvais-je dire face à ce Dieu
tout puissant qui est ton médecin de prédilection. Tout comme ce fameux F. qui était outré que tu
ne connaisses pas la consistance de mes selles, à qui je dois maintenant une
sérieuse constipation tellement j'avais honte que tu me vois…et tous ces autres
soi-disant médecins…Plusieurs médecins m'ont même dit que je serais en mesure
de porter plainte pour ces soins destructeurs et abusifs. Mais bien sûr, pour
toi ça reste de ma faute, je n'avais qu'à le dire…Mais comment dire de telles
choses quand on a 7-8ans…Alors on s'enferme dans sa bulle solitaire,
autistique, on s'invente une vie remplie d'amis, on rêve sa vie faute de
pouvoir la vivre…Peut-être trouves-tu que j'en rajoute mais les souvenirs se
sont bien ancrés dans mon esprit et quand il a fallu en parler, la douleur a
été vive…
Et
puis mon séjour a pris fin sur la décision de partir dans le Gard chez des personnes avec qui la vie paraissait si simple, le temps de me faire des
repères sains et de trouver un appart et un emploi: me faire ma vie à moi selon
mes critères sans jugement ni critique. Tout s'est plutôt bien passé,
l'anorexie restait trop présente mais beaucoup moins, jamais aussi peu présente
à une sortie d'hôpital et j'étais fermement décidée à ne plus y remettre un
pied. Peu à peu je semblais m'apprivoiser à la vie et elle à moi après tout ce
que j'avais pu reconstruire c'était la moindre des choses même si ça n'était
pas toujours facile quand on est seul face à soi-même…Et puis il y a eu ce jour
où ma ballade à vtt a été écourtée par un inattentif au volant.
Personnellement, je n'en ai aucun souvenir, tout ce que je sais c'est ce qu'on
a bien voulu me dire et dossier médical qui n'en rajoute qu'un peu plus. On ne
t'en a parlé mais qu'aurais-tu fait? Tu serais arrivée avec ton fidèle compagnon pour
me sortir de l'hôpital et vouloir me soigner à sa façon. Mais je peux te dire
que sans les médecins, je n'en serais pas là aujourd'hui: traumatisme crânien,
hémorragie cérébro méningée, coma, côtes cassées, rate déchirée, hanche et
bassin fracturés et le plus dur encore les conséquences psychologiques
entraînées par cet accident dont la dépression dans laquelle je m'enfonce jour
après jour…mais comme on me l'a souvent dit j'ai eu la chance de m'en sortir à
moindres frais après être restée une heure sur le macadam à attendre les
secours…certes…beaucoup pensent que j'ai eu de la chance…pourtant j'aurais bien
préféré que cet accident m'emporte avec lui, je ne dois vraiment pas être faite
pour la vie, je ne voulais pas naître c'est bien pour une raison….voir tous ces
efforts de dix mois et même plus anéantis par un tel choc….vraiment ça ne vaut
pas la peine de se battre et tout le monde aurait été soulagé. On aurait plus
eu à penser à moi, à s'inquiéter pour moi, on aurait pu faire mon deuil et vous
seriez bien plus tranquilles. Seulement la mort ne semble pas vouloir de moi,
je suis trop lâche, et je suis condamnée à vivre une vie que je déteste et que
j'aurais aimé ne jamais connaître…
Voilà,
aujourd'hui je suis chez papa et ma belle-mère pour plus de sécurité face à la
dépression, en attente d'une place dans un service pour trouble alimentaire et
dépression. Maintenant, tout ce que je peux te dire actuellement, je ne te veux
aucun mal mais ne supporte plus le mal que la petite fille a ressenti en son
temps. Bien entendu, je ne t'en tiens pas responsable ni coupable, puisque tu
as toujours pensé bien, c'est le principal…mais voilà, j'en resterai là…
Tu
aurais sans aucun doute préféré entendre autre chose mais je t'avoue que tu me
sembles tellement différente de ce que j'ai pu croire que tu étais, tellement
différente, que je n'arrive même plus à imaginer ce que tu peux attendre de
moi. En revanche, une chose est certaine, je sais ce que j'attends de toi: que
tu vives ta vie, que tu sois heureuse avec ceux et là où tu te trouves mais je
ne souhaite pas en faire partie. Tu as fait ton choix, c'est très bien pour
toi, je l'approuve pour toi mais ne m'oblige pas à y adhérer pour moi pour ton
ou ce que tu imagines mon bonheur. Tu me manqueras à jamais c'est certain, une
mère c'est tellement important dans une vie mais visiblement tu n'as pas choisi
de te conformer à la mère courante ou classique. Enfin, tu as fait ton choix,
je le respecte mais n'y adhère pas…Et puis pour moi la vie reste un poids, un
fardeau que je vais devoir porter jusqu'à ce que ma fin arrive, je ne comprends
que trop pour une fois le souhait de la mémé en fin de vie…le plus sordide dans
cette histoire est que je n'ai que 34ans…mais 34ans bien trop chargés et
indésirables.
Voilà,
je m'arrêterai là, je ne peux rien te promettre concernant l'avenir, puisque
cet avenir est des plus incertains me concernant…alors vis ta vie et soit
heureuse, je ne peux rien de plus pour toi…