elle a décidé de guérir...
Elle a décidé de guérir…Enfin, elle peut conjuguer ce verbe en toute sincérité sur un mode actif car elle veut guérir, elle veut y croire quoiqu’il lui en coûte, peu importe le prix à payer, peu importe les efforts à fournir, sans bien savoir pourquoi ni comment elle sait enfin que CA EN VAUT LA PEINE.
Elle déteste ce mail écrit, il y a prés trois ans qui transpire la complaisance, la fierté anorexique, sa fierté à avoir mis en échec autant de soignants et de mesures prises pour l’aider…tout avait échoué, c’était pour elle une sorte de gloire, il ne lui restait plus que ça. Pourtant ce mail lui a sauvé la vie car deux personnes ont eu l’audace de lire à travers les lignes un semblant de détresse dissimulé ici et là. Longtemps, elle a demandé de l’aide, elle voulait qu’on l’aide mais elle ne savait pas bien pourquoi. En apparence, elle se battait contre l’anorexie alors qu’au fond, elle se battait contre elle-même, parachevait son autodestruction en toute bonne conscience.
Et voilà qu’aujourd’hui, elle le sait, elle a vraiment décidé de guérir, elle veut sa guérison. Et, si elle ne sait plus bien quand elle est tombée malade, ni même quand elle a pris conscience qu’elle était malade, elle sait quand elle a décidé de guérir. Paradoxalement, c’est quand elle a arrêté de faire croire qu’elle voulait guérir pour reconnaître qu’elle ne voulait pas guérir. Tant elle était terrorisée à l’idée qu’on lui prenne, qu’on s’attaque à sa maladie, c’est tout ce qu’il lui restait et qui lui appartenait. A partir de là, il lui a été possible de parler de sa peur de guérir, de sa peur de perdre sa place de malade et tous les bénéfices secondaires qui en découlent. Peu à peu les choses se sont décantées, peu à peu avec une aide des plus précieuses, elle a accepté de faire confiance et ils ont accepté de lui faire encore une fois confiance. Elle a accepté de s’ouvrir, de parler d’elle, de parler de ce qu’elle contenait au fond d’elle-même depuis tant d’années honteusement et ils ont accepté de l’entendre, de l’écouter sans aucun jugement. Elle a rompu le silence et à mis en mots ces maux si douloureux, cette enfance, faite d’apparences, de non-dit, de non sens, de tabous, d’agressions, de transgressions, de peur, de honte. Elle a accepté de lâcher une partie de ce fardeau qui lui pèse tant et ils ont accepté de l’aider à le porter avec elle avant qu’elle ne puisse s’en défaire.
Après plusieurs mois d’une nouvelle guerre contre les démons du passé, ses peurs infantiles ou plus proches, ses angoisses, elle désire quitter le monde obscure et vain de l’anorexie pour rejoindre celui des vivants. Le monde des gens qui vivent sans l’obsession alimentaire. Les fantômes et les démons du passé commencent à sortir du placard, elle a moins peur de les affronter. Et peu à peu, ils cèdent la place à
la VIE.
Elle qui avait si peur de ne pas y parvenir, elle y va, elle franchi LE PAS le plus difficile et même s’il reste trébuchant, plus rien n’est grave car elle sait qu’elle finira toujours par se relever. Alors pas à pas, repas après repas, elle met de la distance entre l’anorexie et sa VIE, elle met de
la VIE
dans son monde au prix d’angoisses certaines mais elle sait que CA EN VAUT
LA PEINE.
Et qui sait peut-être qu’un jour elle, aussi, pourra partager un moment de CONVIVIALITE autour d’un repas sans crainte, sans peur, sans culpabilité. Pour en arriver là, elle sait qu’elle devra encore longtemps ce battre. Et déjà chaque repas pris devient une petite victoire qui la sépare un peu plus de l’anorexie. Il faudra donc encore des centaines et des centaines de repas plus ou moins angoissants pour trouver la sérénité. En se relevant, ses yeux se sont eux aussi relever, elle a pu percevoir un petit coin de CIEL BLEU, pas toujours très rose mais bien moins sombre que le macadam sur lequel elle usé tant de semelles afin de faire taire son angoisse.
" Affronte tes peurs elle deviendront inoffensives "
Le petit oiseau fragile et hésitant commence à prendre son envol. La chenille quitte le cocon "hospitalier" pour devenir papillon virevoltant de ses propres ailes. Dans le même temps, la petite fille aux yeux si tristes qui est en elle commence à grandir soutenue, encouragée par son médecin et sa femme. Et déjà sur son visage se dessine un sourire timide, pudique. Elle a trouvé au fond d’elle-même les ressources nécessaires pour se construire sur de nouvelles bases guidées par les deux personnes qui ont eu l’audace de croire à elle. Il lui faut effacer les dégâts d’une enfance toxique. Elle a mis du temps, beaucoup de temps mais elle a fini par avoir l’intelligence d’accepter vraiment l’aide qu’ils lui proposaient et surtout de la mettre en pratique.
Ses rêves d’enfant enfouis profondément remontent à la surface, bien entendu, certains ne seront plus réalisables, on ne peut rattraper le temps passé. Elle ne sera jamais la petite gymnaste qu’elle aurait tant désiré être. Mais d’autres, peuvent eux renaître et se concrétiser, il est encore temps. Elle doit juste s’en donner les moyens. C’est TOUT LE SENS que commence à prendre CHAQUE KILO récupéré dans la douleur d’un corps qui lui échappe et dans lequel elle a encore du mal à se reconnaître. Il ne reste qu’à espérer qu’avec le temps, tout finira par s’apaiser. Elle parviendra à vivre dans ce corps qu’elle l’accepte ou pas.
La vie c’est un peu comme une boîte de chocolats, on ne sait jamais sur quoi on va tomber. C’est sans doute, là, le charme de la vie, ne pas savoir à quoi s’attendre, s’adapter, accepter parce qu’on sait qu’il n’y a pas que des mauvais chocolats dans la boîte.
Depuis quelques temps, une phrase lui revient souvent en tête :
"il n’y a aucune gloire à se laisser crever de faim ni même se glorifier de sa maigreur cadavérique".
Encore plus paradoxale que l’anorexie, la guérison se fait dans la douleur : "guérir demande du temps, de la patience, de la résistance aux démons anorexiques qui rôdent prêts à jaillir à la moindre faille. Guérir, ça fait mal. Guérir fait même parfois plus mal que la maladie elle-même. L’envie de baisser les bras devient de plus en plus forte, c’est à ce moment que quelques mots prononcés au détour d’un couloir d’hôpital résonne dans son esprit : "l’anorexie n’a plus de place dans ta vie[…], je crois en toi[…], j’ai confiance en toi[…], tu vas réussir[…]". Et bien d’autres encore. Guérir est une souffrance temporaire pour accéder au mieux-être, un passage obligé, une condition nécessaire. On le lui a dit c’est du plus profond de la souffrance que naît le courage…et sans doute l’espoir.
Alors hésitante, sans trop savoir pourquoi elle retrousse ses manches reprend son souffle et repart au COMBAT. Car elle a enfin compris que la guérison est la clé de la liberté retrouvée, l’anorexie n’est que l’illusion d’une liberté aliénante. Tout en reprenant sa propre liberté, elle rend sa liberté à son anorexie, espérant seulement qu’elle ne se vengera pas sur une autre.
Et puis elle sait qu’on ne peut pas sans cesse fuir le bonheur de peur qu’il ne se sauve car au détour d’un virage de vie, il risque de la rattraper donc autant le vivre dés à présent.
Elle qui a décidé de guérir, chaque jour qui passe, c’est un peu plus moi puisque "j’ai décidé de guérir".